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LE SOLEIL MEME LA NUIT. FRANCE ELLE.
18 juillet 2023

AUTEL DES MORTS. Partie 4. Fiastre (2)

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Jacques-Henri Fiastre.

Paris. Février-mars 1994.

Nicolas cherche la trace d'Irène Isserman, comédienne juive qui a disparu sous l'occupation...Il veut, par elle, reprendre vie...

Plusieurs jours de suite, Nicholas qui loge à Paris chez une copine de Liz tout aussi anglaise que lui, revient à la charge. Fiastre ne lui refuse pas grand-chose. C’est un grand et gros garçon qui n’assume pas bien son attirance pour les jeunes hommes. Bien trop encombré par ses bonnes manières, il est en admiration devant le jeune provençal mais il trouverait inconvenant de trop s’approcher de lui. Le flattant, celui-ci réussit à consulter des carnets de notes que Jacques-Henri a tenus quand il rédigeait sa thèse. Très organisé, il les a rangées par ordre chronologique dans un des magnifiques secrétaires de type renaissance qui orne son appartement. Il y trouve tout ce qu’il recherche sur Irène, notamment le détail de toute sa carrière théâtrale, depuis ses rôles de débutante jusqu’au sommet de sa carrière, qui s’interrompt brutalement. Comme il s’installe pour recopier ce qui l’intéresse, l’universitaire parisien se récrie ! Il dispose d’une photocopieuse, fort utile pour son travail. Que diable ! Nicholas peut s’en servir. Elle a joué Amphitryon 38, qui date de 1929, et La Guerre de Troie n’aura pas lieu, qui date de 1935 et Electre, que Giraudoux a écrit en 1937. L’auteur étant mort en 1944, il a fallu lui demander son autorisation dans chaque cas. Il l’a donnée. Pourtant, il privilégiait Louis Jouvet et sa troupe, c’est de notoriété commune. Il découvre aussi qu’elle a joué Elmire dans le Tartuffe mais aussi Toinette dans le Malade Imaginaire et qu’avant cela, elle a eu bon nombre de petits rôles chez Molière. Novack, qui l’adorait, l’a mise en scène dans Tchékhov où elle s’est illustrée dans La Cerisaie et La Mouette. Enfin, il lui a confié le rôle-titre dans Les Caprices de Marianne et celui, moins important de la marquise de Cibo dans Lorenzaccio.  Il s’agit donc bel et bien d’une carrière étoffée qui voit le jour dès que la comédienne sort du conservatoire et s’arrête brutalement, avec sa disparition forcée. Il découvre aussi qu’avant de travailler pour Novack, elle a été recrutée par une autre troupe, de bien moindre renom et qu’elle y est restée deux ans. Quant à Eric, il a été diplômé du conservatoire la même année qu’elle et a été plus éclectique. Elle faisait déjà partie de la troupe de Raoul Novack quand lui-même en est devenu membre. Il semble qu’on lui ait attribué des rôles de valets plein de ressources et qu’il ait fait un amusant Scapin. On lui a aussi donné aussi à jouer Hugo et Musset mais contrairement à elle, il a été jugé bon pour faire rire. En parcourant les carnets de notes de l’infatigable universitaire, Nicholas lit que dans Feydeau, Éric a beaucoup fait rire. A tout prendre, l’un et l’autre font partie des comédiens sur lesquels le  metteur en scène comptent le plus pour promouvoir sa troupe. Ils sont jeunes et physiquement, ils sont beaux ; de plus, ils ont de l’abattage. Fiastre ayant bien fait les choses, il a épluché la presse parisienne de l’époque et lu avec attention bon nombre de critiques théâtrales concernant La Porte d’or, à savoir la fameuse troupe qui faisait travailler Éric et Irène. A priori, la troupe a eu le vent en poupe à partir de 1932, quand il est passé dans une salle plus vaste et a eu de meilleurs moyens financiers. Jusqu’en 1940, elle est très active mais il le constate, les comédiens se renouvellent à un rythme plus soutenu. Les têtes d’affiche cèdent peu à peu leur place…En 1942, il semble qu’elle se dissolve en un rien de temps alors qu’elle avait une belle notoriété. Ont disparu, entre autre, l’agile acteur blond qui était si applaudi, Éric Becker et Irène Isserman, qui a tant ému dans Tchékhov et dans Musset. Nicholas a beau fouiller, il ne trouve aucun article évoquant le départ des deux acteurs. Il constate seulement que leurs noms ne sont plus imprimés sur les programmes. Enfin, merveille des merveilles, il découvre que Jacques-Henri a non seulement parcouru la presse et recensé il ne sait combien d’articles sur les spectacles qui se sont joués à Paris avant la guerre et sous l’occupation mais qu’il est à la tête de centaines de photos d’acteurs et d’hommes de spectacles. Il les a classées et archivées. Trouver la boite qui contient tout ce qui concerne La Porte d’or n’est donc pas compliqué. Il tient donc dans ses mains, avec une émotion indicible, des photos d’Irène, fardée et costumée, prête pour ses différents rôles. Elle était indéniablement jolie, brune, le teint mat, un bel ovale et un sourire charmant, un peu lointain mais très persuasif. Tantôt elle porte perruque et est lourdement fardée, tantôt on lui a bouclé les cheveux et bien que maquillée, elle parait plus naturelle. Mais il lui en manque au naturel et il ne sait comment les trouver. Ne voulant pas révéler à l’universitaire qui cherche fiévreusement à lui rendre service, il trouve un autre biais pour obtenir d’autres renseignements sur Irène.

-C’est une parisienne de souche, je le sais.

theatre PARIS

 

-C’est une Juive née à Paris. N’oubliez pas qu’elle traverse une partie de la guerre. C’est donc ainsi qu’elle sera perçue et c’est la raison pour laquelle elle disparaîtra en 1942. Vous voulez en savoir plus sur elle, c’est bien cela…

-Oui, je manque encore d’informations.

-Et pourquoi, je ne le sais pas. Admettons. Vous ne connaissez pas Paris. C’est un manque pour vous, ça. Votre actrice, elle est née dans le neuvième, rue Lamartine. Elle a toujours habité ce quartier. Déjà avant la guerre, il y avait des synagogues. Plusieurs d’entre elles existent toujours. Elle ne pouvait pas ne pas les connaître.

-J’ai été élevé par des gens incroyants de sorte que je voyais bien des églises autour de moi, enfant, mais je ne les connaissais pas.

-Oui mais vous, Nicholas, vous n’êtes pas juif ! Elle l’était et même élevée comme elle a dû l’être dans une famille très assimilée et donc peu pratiquante, elle était malgré tout imprégnée de judaïsme.

-Vous en êtes sûr ?

-Fiastre, c’est le nom de mon père mais ma mère s’appelle Sarah Finkel. Je suis bien placé pour vous dire qu’il y a, malgré tout, un attachement…Nous l’avons tous, je dois dire. Essayez un peu de demander à ma mère, à Carpentras, de ne pas respecter le shabbat et mon père file droit lui-aussi.  Mais bref, votre « Irène » naît dans le neuvième, y grandit et y fait ses études. Elle connaît et aime la grande synagogue de la rue de la Victoire mais celle-ci fera l’objet d’un attentat en 1942. Elle le saura encore qu’elle sera déjà prise dans les affres de la rafle du Vel d’hiv. Mais je vais trop vite… A vingt-cinq, elle est sortie du conservatoire, s’est mariée et travaille pour Raoul Novack. J’imagine, je dis bien j’imagine, qu’ils devaient aimer certains endroits de Paris. Ils ont bien dû monter et descendre le boulevard Saint-Germain, traîner dans le quartier latin et se promener dans le quartier de l’opéra. Entre les deux guerres, c’était une ville splendide. Ils étaient jeunes et amoureux l’un de l’autre et à l’époque, on n’hésitait pas à faire des kilomètres à pied dans une capitale qui brillait de mille feux.

PARIS OCCUPE

-Mais ce nom a changé avec la guerre !

-C’est le moins qu’on puisse dire. L’hôtel Majestic, avenue Kléber, est le siège du haut commandement en France. Le Ritz est celui de la Luftwaffe et Le Lutétia, celui de l’Abwer. Les différents gouverneurs de Paris résident à l’hôtel Meurice et à l’angle de la rue du 4 septembre et de l’avenue de l’opéra, il y a le siège de la Kommandantur.  La Propagandastaffel est située au 55 de l’avenue des Champs-Elysées. Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne habite rue de Lille, l’hôtel de Beauharnais. Au 31 bis de l’avenue Foch, on trouve le Commissariat aux questions juives tandis qu’au 72 de la même avenue, se trouve le siège de la Gestapo. Il n’y a pas à dire, suivant ses origines ou ses orientations, il est difficile de continuer de faire comme de si rien n’était…L’hôpital Lariboisière et la Salpétrière sont des hôpitaux allemands. Le lycée Claude-Bernard et l’Ecole militaire sont des casernes et bien entendu, le palais du Luxembourg est le siège du service aux trois armées. L’Hôtel des Invalides accueille l’état-major allemand. Quant au palais Bourbon et au palais d’Orsay, ils sont le siège du Gross Paris. Il ne faut pas oublier au 93 de la rue de Lauriston, la Gestapo française qui travaillait avec sa version originale allemande, sise au 180 de la rue de la Pompe (elle travaillait bien sûr en étroite relation avec l’avenue Foch rebaptisée commodément avenue Boche par de mauvais plaisants…Je vais vous montrer tout cela, Nicholas. Vous pourrez ainsi mieux vous rendre compte de ce qu’elle a pu ressentir, elle comme d’autres quand cette ville a été envahie et qu’il est devenu si difficile et d’y survivre et de s’y déplacer…Paris occupée, telle qu’elle l’a connu, était une ville qui s’était vidée d’un grand nombre de ses habitants. Il subsistait néanmoins bon nombre d’habitants et l’éclat plutôt transformé d’ « une vie parisienne »…Mais marchons !

Plusieurs jours de suite, Nicholas et Jacques-Henri parcourent Paris. L’historien a établi des itinéraires présents et ses connaissances sur le Paris de l’occupation sont impressionnantes. Il sait réellement beaucoup de choses et le jeune homme, qui n’avait de la traque aux juifs qu’une vision livresque, commence à se rendre compte de la difficulté qu’ont dû éprouver ceux qui cherchaient à ne pas se faire prendre à trouver les bonnes personnes, susceptibles non de les livrer mais de les aider. Autant quand Fiastre lui a montré des salles de spectacle, il a pu saisir l’exaltation qui devait être celle d’Irène quand elle avait une soirée de libre et décidé d’aller voir jouer les autres, autant il a ressenti sa peur quand elle a compris qu’une fois arrêtée, tout serait sans retour.

Fiastre est en admiration devant Nicholas qu’il voit comme un personnage incroyablement romantique. Celui-ci a beau arguer qu’il s’intéresse à l’histoire contemporaine et principalement à la France occupée, son discours ne tient pas la route.

 

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