Julie, très bien mariée, a lu il y a longtemps un livre dont l'héroïne mourrait de mort violente. Voilà que cette morte, toute créature de papier qu'elle soit, la réveille la nuit pour quémander de l'aide. Au Yucatan à Villahermosa, Julie est seule à faire face...
Quelques mois plus tard cependant, la panique m'envahit de nouveau. Une nuit, à Villahermosa, au Yucatan, la femme mystérieuse revint. J’étais toute seule avec Chloé et Léa qui étaient petites. Bien sûr, il y avait deux gardiens à l’extérieur et tout un système de sécurité. Je n’étais pas spécialement agitée ni inquiète et du reste, je m'étais endormie très vite après avoir dit à la nounou des filles que je n'avais pas besoin d'elle.
Au milieu de la nuit, j'eus la même apparition. Cette fois, cependant, cette femme se mit à parler. Comme l'autre fois, elle avait été mise en bière et était prête à être enterrée. Elle était bel et bien en vie cependant et comme je la voyais bien mieux, lui trouvai belle apparence. Elle semblait rajeunie. Affolée, elle tapait sans discontinuer sur le couvercle qu’elle tentait de repousser mais, même si sa panique était croissante, rien, dans son apparence n’était dérangé. Tout se passant comme si j'étais prêt d'elle, dans le cercueil, je vis à quel point ,elle était mince, belle et bien coiffée. Bien sûr, j’aurais pu être intriguée : quand on est en train d’étouffer dans un cercueil, on ne doit pas avoir cette tête-là...
Mais, j’étais terrorisée. Je ne pensais qu’à ma peur. En effet, la créature poussait de grands cris et m'appelait. Elle hurlait mon prénom de façon répétée et je dois dire qu'elle m'émouvait. A l'observer de si près, je sentais bien que j'avais un lien avec elle. Oui, je la connaissais, cette femme déchaînée mais la terreur m'empêchait de la rejoindre...
Huit soirs durant, cette vision me pétrifia à la même heure. La créature tentait de sortir de son cercueil, se redressait, agitait les bras et m'appelait en vain. J'étais cette fois dans mon lit et je me souviens du désir que j'avais de lui répondre pour la calmer. Je ne le pouvais pas puisque ma voix mourait dans ma gorge. La scène durait des heures, ce qui se révélait très éprouvant. Incapable d'agir, je restais sans dormir et à l'aube, quand mon fantôme me quittait, je m'effondrais. Dans la villa, on me trouvait un air hagard mais je ne faisais aucune confidence. Quant à Bertrand il était en congrès ailleurs et au téléphone, je ne disais rien non plus. Sa légendaire incrédulité face à toute manifestation surnaturelle m'aurait empêchée d'aligner plus d'une phrase.
L'épuisement me gagnait. Il fallait réagir. Un soir donc, je fait face. Prenant sur moi, Je dit à cette créature dont je devinais l'identité.
-Il y a des nuits et des nuits que vous me hantez. Vous m'appelez, je le sais bien. A la fin, que voulez-vous ?
D'agitée, la femme se fit plus calme, comme pour m'encourager.
-Tu sais qui je suis.
Oui, je le savais et cette fois, j'avais la force de l'affirmer.
-Tu es Flore Lesueur, l'héroïne d'un roman que j'ai lu jeune fille.
-Bravo ! Tu vois : ce livre t'a marquée!
-Je l'ai aimé, oui. Mais un personnage qui sort d'un livre pour parler à une vivante, qui croirait cela ?
-Je suis là, pourtant, devant toi...
-Une nouvelle fois, que me voulez-vous ?
-Je cherche une âme forte qui puisse me secourir! Tu n'es pas la seule que j'ai hantée mais il semble bien que la bonne personne, c'est toi !
-Pardon ? Comment cela ? Je le sais, tu n'existes pas. Dans le roman, tu es morte à trente ans par empoisonnement. Tu es une héroïne tragique dans un roman de seconde zone...
-Oui, c'est vrai, je suis un être de fiction. Mais pour les êtres comme toi, je suis aussi une femme réelle. Mes succès et mes peines le sont.
-Vous êtes une femme réelle, vous ?
-Oui. Ma vie a pris son envol et tu as lu combien j'ai été heureuse ! Et puis, j'ai fait l'objet d'une vengeance. J'ai été horriblement malade , ai perdu conscience par moments connu les affres d'une terrible agonie. C'est là que j'ai lancé des prophéties. Il n'a pas expié, tu sais, Donatien. A l'époque, une épidémie courait. Il a dit que j'étais tombée malade à cause de cette fièvre qui s'en prenait à tous. Jour après jour, il m'a apporté des tisanes en plus des médicaments que le médecin avait ordonnés. Et je suis restée entre la vie et la mort. Ni dans l'une ni dans l'autre. Rien ne lui est arrivé, à lui...
- Et je dois faire en sorte qu'il soit puni ?
-Tu le peux ! Je ne suis pas vraiment morte puisque je t'apparais.
-Je n'ai aucun pouvoir sur la vie ou la mort d'un être. Et du reste, vous n'êtes qu'illusion. A vous entendre, vous avez été enterrée, on vous a cru morte mais la vie a été la plus forte ! Et Donatien, qui n'est pas plus réel que vous, doit payer pour avoir tenté de vous tuer !
-Nous allons toutes deux le punir. Maintenant que tu as surmonté ta peur, nous pouvons beaucoup nous parler et échafauder des plans...
Debout devant moi, transparente et belle dans ses vêtements blancs, Flore avait cessé de se tordre les mains et les tendait vers moi, suppliante...
Dans l'urgence où je me trouvais, je cherchais comment lui répondre, comment la venger d'une mort ignominieuse, mais je n'étais que moi-même et finis par lui dire sur un ton piteux :
-Je ne dispose d'aucun pouvoir. M' avoir choisie est une illusion de votre part.
-Non ? Alors, si c'est ainsi, tu vas me regarder souffrir encore et encore. Qu'importe que nous n'ayons pas vraiment vécu. Un auteur nous a placés dans son livre...Nous souffrons pareillement...Lui de ne pas avoir été découvert et inculpé et moi de ne pouvoir vraiment terminer ma vie...Ne préfères-tu pas que je meure plus proprement?
Je dois le dire, ses arguments m'atteignaient et je cherchais des réponses que je ne trouvais pas.
-Mais vous êtes les personnages d'un roman dont je ne suis pas l'auteur. Comment pourrais-je en réécrire la fin?
-Tu le peux ! Fais de moi un personnage de roman traditionnel qui meurt de sa bonne mort. Efface le crime de mon mari mais n'oublie pas qu'il doit souffrir car il a douté de moi. Ou bien, fais-le me tuer mais conduis-le à l'expiation de son crime. La justice des hommes est bien réelle, non ?
-Réécrire la fin...
Je me voyais, prenant la plume. Elle me sentait tentée et insistait.
-Tu as lu ce livre quand tu avais dix-huit ans. Tu l'as emprunté à la bibliothèque municipale. Je t'ai plu !
-Sans doute mais cela fait longtemps. Vous étiez juste une héroïne surprenante au destin douloureux. Je ne dis pas que vous me laissiez indifférente, vous m'impressionniez même...
-Je pense bien ! Et tu m'es sympathique. Tu as beaucoup d'imagination et tu adores les histoires de fantômes. C'est jusque que tu es timide face à ton mari. Sans lui, il y a déjà longtemps que tu écrirais...
-J'ai envie d'écrire, c'est vrai mais les filles sont jeunes encore. Je verrais plus tard. Quant à vous, vous êtes au centre d'un histoire mortifère, très déprimante.J'aimerais me lancer dans un sujet plus léger...
-Peut-être le feras-tu mais pour l'heure, mon histoire te concerne. Tu as un pouvoir de paix c'est pourquoi je t'ai choisie. Accepte de m'aider. J’aime t'apparaître car je sais que tu céderas !
-Je vous en prie, ne venez plus !
-Vous êtes une enfant. A bientôt.