ELLE VOULAIT LES REVOIR...
Diane a beau être une femme adulte qui conduit sa vie, elle regrette la mort de ses parents...
Il y avait l'approche de ces fêtes que, comme beaucoup, elle attendait avec une impatience d'enfant tout en les redoutant avec de vrais pressentiments d'adulte. Et il y avait l'envie qu'elle avait que, tant à Noël qu'au premier de l'an, s'invitent des gens qu'elle avait perdus. Non pas perdus de vue mais vraiment perdus puisqu'ils étaient morts. C'était là un bien étrange désir qu'elle avait mais il lui semblait qu'à son âge (elle avait depuis peu cessé de travailler et était "en retraite", expression pour elle pleine de sens car elle s'était repliée sur elle-même), elle pouvait cesser d'être rationnelle au quotidien. Pourquoi après tout ne pas laisser entrer chez elle ce qui était au delà du réel et des convenances?
Elle devait passer Noël avec des cousins éloignés. Ils l'avaient, à se grande surprise, adoptée avec beaucoup d'allant depuis qu'elle avait quitté la région parisienne, vendu son appartement de femme divorcée et décidé de s'installer en Provence. Oppède le Vieux était un beau village touristique du Lubéron très fréquenté en belle saison et confidentiel le reste de l'année mais Diane n'était pas difficile. Un petit appartement lui suffisait. Elle peignait depuis longtemps et jouait du piano. Vivant dans un duplex, elle avait transformé la pièce du haut en atelier et installé son piano en bas. Donnant des cours, elle avait quelques élèves d'âges divers qui venaient chez elle pour se plonger dans la musique. Elle n'était pas malheureuse du tout, aimant sa nouvelle vie où elle s'était fait des amis.
Ses cousins vivaient à Nice. Elle devrait se déplacer et rester loger chez eux. Elle en était contente sachant qu'elle irait à Paris pour fêter avec ses deux enfants le dernier jour de l'année. Anna, sa fille aînée, vivait dans le quizième avec son mari et leurs deux grands garçons. Paul, lui, vivait à Londres depuis longtemps déjà mais il viendrait. Il avait divorcé, comme elle, et en était ébranlé. Il avait une fille de son mariage et ne voulait pas quitter l'Angleterre pour rester proche d'elle. Ayant sans doute négocié, il viendrait à Paris lui-aussi et emmenerait Lucy.
Diane observait ses enfants sans les juger. Créer des liens était difficile. Commettre des erreurs, très simple. On se connaissait si mal ! Anna et Paul étaient des êtres brillant pour elle de mille feux. Ceux-ci restaraient étincelants, malgré les vicissitudes...
Ce qui la préoccupait était autre. Elle avait cinquante-quatre ans quand son père avait été emporté par une attaque cardiaque et cinquante-six quand sa mère avait péri dans un accident de la route. Ces deux disparitions l'avaient affectée des mois durant avant qu'elle ne réussisse à franchir quelques étapes d'un deuil nécessaire. Il lui en restait d'autres à franchir mais jusqu'ici, elle n'y était pas parvenue sans trouver les motifs réels de son incapacité à être sereine vis à vis d'eux. Ils avaient été ce qu'ils avaient été. Il y a longtemps qu'elle ne récriminait plus contre l'autoritarisme chronique de son père face à ses deux frères et elle et qu'elle avait accepté qu'il puisse s'absenter si souvent de la maison. Il était infirmier et travaillait à domicile, s'en allant beaucoup...Quant à sa mère, elle la regardait avec clémence. Elle avait été une institutrice soucieuse de ses élèves et à ce titre, Diane l'avait trouvée presque trop acharnée à vouloir leur réussite...Mais qu'est-ce que ça faisait maintenant? Qu'elle ait été méticuleuse au point d'en être étouffante, qu'elle ait été obsédée par la propreté comme d'un autre signe de perfection et de réussite, qu'elle ait poussé ses trois enfants à jouer d'un instrument de musique jusqu'à écoeurer deux d'entre eux et qu'elle n'ait pas compris le talent de sa fille pour la peinture, nul ne pouvait le nier, surtout, elle, Diane. Mais avec le passage du temps et le goût qu'elle avait pour une vie méditative et silencieuse, elle ne s'en irritait plus.
Non, elle n'avait plus de ressentiment. Au contraire, elle aimait jusqu'aux défauts de ces deux êtres qui l'avaient élevée et dont elle n'avait qu'une vision partielle mais, paradoxalement, elle éprouvait souvent une souffrance forte. Depuis peu, elle l'avait identifiée. Ils étaient partis mais il restait un au revoir...
Il ne s'agissait pas de visite au cimetière, de prières quelles qu'elles soient, d'albums photos revisités ou de repas commémoratif avec ses frères. Non, c'était autre chose. Et cet "autre chose" allait arriver...Alors, elle les reverrait en pleine lumière et en pleine douceur et ils se salueraient vraiment, ils se diraient au revoir de façon pacifiante...Et elle serait joyeuse à jamais.
Ce fut en voiture, comme elle roulait vers Nice, qu'elle eut une sorte d'éblouissement. Elle avait prévu, détail futile, de prendre son temps pour voyager et, éventuellement, de s'arrêter au gré de ses envies, quitte à dormir quelque part. Larges d'esprit, ses cousins la laissèrent libre. Après tout, c'était une femme de soixante-cinq ans, valide et ayant toute sa tête...Tout de même, cet éblouissement la perturba. Elle craignit un malaise au volant et trouvant dans un village un joli hôtel qui avait pignon sur rue, elle y prit une chambre confortable. Elle emmenait avec elle Princesse Akima, sa chatte birmane et laissa celle-ci s'ébattre dans la pièce. Elle-même s'allongea sur le lit après s'être douchée. L'éblouissement reprit mais cette fois ne la terrifia pas. Elle se leva et sans aucun problème traversa la cloison de la chambre qui donnait sur le couloir sans ouvrir la porte. Quiconque aurait pu voir à l'intérieur de celle-ci, aurait constaté que la femme élégante qui était arrivée depuis deux heures, s'y reposait. Diane, consciente de s'être décorporée, se dirigea vers la piscine qu'à cette époque de l'année, on n'utilisait pas. Dans ce lieu désert, elle s'assit à une table qu'elle savait ne pas choisir au hasard.
Quelques minutes plus tard, sa mère lui apparut. Vêtue de blanc, elle s'approcha et s'assit à ses côtés. Il se dégageait d'elle une paix suave et une harmonie nouvelle que son accident brutal et sa mort violente avaient retiré d'elle mais qui existaient malgré tout dans toute sa personne et depuis les origines. Les aléas de la vie avaient créé en elle un brouillage qui l'avait rendu telle que Diane l'avait connue : stricte, irritable et tatillonne malgré son évidente bienveillance...
Allaient-elles se parler? Diane, qui rêvait de retrouver ainsi sa mère, l'avait sauvagement voulu mais maintenant qu'elles étaient assises l'une à côté de l'autre, elle n'y songeait plus. Au fond, la morte et la vivante étaient là pour se réconcilier et s'accepter comme elles étaient dans un instant présent qui allait s'étendre à des jours entiers de balbutiements de bonheur...Et cela suffisait. Elles restèrent donc ainsi, sans parler, à se regarder et à s'observer en esquissant des sourires puis la mère se leva et partit. Diane rentra dans sa chambre et dans son corps. Elle lut, dina et dormit. Le lendemain, elle roula vers Nice et les jours suivants, elle fit la fête. Ses cousins lui trouvèrent une sorte de gravité sereine qui, chez elle, était nouvelle mais comme il présentait cela avec émerveillement, elle se dit que ce qu'elle venait de vivre, l'avait renouvellée et embellie...
Plus tard, à Paris, elle alla rejoindre sa fille dans un café. Elle devait aller au cinéma avec elle mais celle-ci appella pour dire qu'elle serait en retard. Elles changeraient de séance...
Comme Diane se levait pour aller se promener, elle tomba en arrêt. Un homme venait vers elle et c'était son père. Il avait quarante ou quarante-cinq ans et elle retrouva immédiatement cet amour qu'elle avait pour lui et cette admiration que ses absences constantes venaient contrarier. Il se tint devant elle quelques instants et parla. Il avait su qu'il la contrariait et qu'elle voulait de lui des démonstrations d'affection qu'il lui avait refusées. Depuis qu'il était mort, il avait revu beaucoup de passage de sa vie passée et compris que rien n'était définitif. Elle n'avait qu'à s'ouvrir plus encore à une autre forme de vie et il lui donnerait par brassées cet amour qu'elle demandait. Là où il était, on ne mentait plus...Cela n'avait plus d'utilité. Elle croisa son regard et sut que dès maintenant, il tenait parole. L'instant d'après, il s'était fondu dans la foule.
Sa fille vint. Elles virent un film. Les jours suivants, elle resta en famille. On la trouva très aimante.
Puis elle revint chez elle. Les cloisons entre le réel et l'irréel lui parurent soudain plus fragile. Quelque chose de magique pouuvait être demandé et se produire.
Et non seulement, cela, on pouvait guérir d'une instabillité, d'une longue attente...
C'était son cas...