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LE SOLEIL MEME LA NUIT. FRANCE ELLE.
26 décembre 2020

Ecrits hybrides. Le Square au petit chien.

ABS

Le tableau passa de mains en mains avant de rejoindre l’échoppe de Gaétan Richelieu. Il avait repris sa forme antérieure : la colère couvait. Dans l’année qui suivit, il fut acheté par une quadragénaire divorcée qui apprécia l’œuvre exquise qu’elle avait achetée. Toute colère, toute amertume avait disparu du tableau qui représentait une simple scène citadine : des mères au square…Pendant six à huit mois, tout fut au mieux. Le tableau adorait Agnès Desarthy, une comédienne qui rongeait son frein et ne faisait pas la carrière attendue. Elle le mit à la place d’honneur dans son salon où, des mois durant, il la consola de sa vilaine séparation. Son ex-mari s’enorgueillissait d’avoir choisi un as du barreau de Tours pour présenter sa requête. La jeune femme n’y avait cependant pas tout perdu. Bien défendue, elle avait obtenu la garde d’Alice, sa fille unique. Cette dernière adorait tellement le tableau qu’elle le voulut dans sa chambre où il se plut malgré tout. Regrettant les tendres regards de l’actrice, il veilla sur l’enfant de huit ans qui aimait tout particulièrement le petit chien. Toutefois, un déménagement inopiné lui fit perdre la faveur de l’une et de l’autre. Au moment du départ, Alice voulut consoler Clémence, sa voisine de palier avec laquelle elle était tellement amie. Elle lui donna le tableau dont l’apparence, des semaines durant, demeura identique jusqu’à ce que, munie d’un pinceau et de tubes de couleur, elle ne décida d’en modifier quelques aspects. Elle peignit en noir le petit chien et en rouge les robes des deux femmes. Le lendemain, l’animal avait disparu et les mères de famille baissaient la tête, fâchées. Clémence qui était joueuse mais non méchante n’aimait que le rationnel. Ce qui se passait dans ce tableau mettait en péril sa vision confortable de l’existence. Elle se plaignit à de la place excessive qu’i prenait le tableau -alors même que celui-ci était petit- et profita de la période des étrennes pour l’offrir à sa concierge ? Celle-ci se contenta de le suspendre dans les toilettes sans que ni son mari ni leur grand-fils n’y trouvent à redire. Au bout de quinze jours, l’accumulation de problèmes gastriques et intestinaux frappant cette famille de trois personnes étant à son comble, la concierge regarda le tableau avec attention. Les mères se pinçaient le nez, les enfants retenaient leur respiration et les adultes avaient des sourires goguenards. Quant au petit chien, il s’était assis et cachait sa truffe sous ses pattes. C’en était trop. Ayant trouvé sur internet l’adresse d’un brocanteur amateur de tableaux naïfs, elle mit le tableau en dépôt chez lui. Cet homme n’était autre que Gaétan Richelieu. Il ne lui posa aucune question. Il faut dire que, dès l’abord, le tableau avait repris l’apparence qui lui avait tant plu.

Dans les deux ans qui suivirent, il fut la propriété d’un couple d’avares, d’une étudiante toxicomane, d’un ivrogne fortunée et d’un directeur de banque qi n’achetait que des « croûtes » pour faire voir à sa femme « amatrice éclairée d’art abstrait ». Richelieu, à qui le tableau revenait par à-coups, dut se rendre à l’évidence : l’étudiante avait succombé à une overdose, l’amateur de whisky à une cirrhose et l’amoureuse d’art abstrait avait fait des dépenses si inconsidérées pour acquérir des œuvres de peintres à suivre qu’elle était désormais sous tutelle. Quant aux avares, ils avaient échappé de peu à l’incendie de leur maison. L’heureux propriétaire de « Jadis et naguère : objets d’hier et d’aujourd’hui » n’était pas stupide. Bon lecteur, il avait lu avec attention les auteurs fantastiques du dix-neuvième siècle et était suffisamment cultivé pour parler de leurs suiveurs et des novateurs. Ce tableau était un cas intéressant…Il avait sa vie propre et surtout un ego redoutable. Il était à la fois bon et cruel, doux et perfide...Il s’agissait de mettre fin à ses agissements. Il appela donc Michel Pèlerin et le lui remit en main propre sans rien lui cacher du pouvoir du tableau. Celui-ci, tout meurtri, ramena le tableau chez lui et lui parla en ces termes :

-Je me suis affranchi ! J’ai créé une œuvre libre et voilà ce que tu fais, toi ! Pourquoi ces mères ne seraient-elles pas bienveillantes et ces enfants animés par le pur plaisir de jouer ? En quoi cet homme de cinquante ans est-il dangereux ? C’est juste quelqu’un qui sort du travail. Il regarde ces bambins avec émotion car ses propres enfants sont grands et ses petits-enfants ont quitté ce jeune-âge ! Et l’étudiant ? Qui te dit qu’il ne trouve pas cette scène charmante. Son petit chien est jeune : il en est fier. Il espère qu’une mère prendra son enfant dans ses bras et lui permettra de caresser la tête de son petit « Futé ». Il a nommé son chien ainsi car il est très vif. D’accord ? Ne mêle pas ma vie à celles de ces gens qui ont pu faire le mal car cela rejaillira sur moi ! Et ne te moque pas de qui est naïf ou faible !

Le tableau obtempéra et garda son apparence joyeuse jusqu’à ce que Pèlerin ne l’offre à sa belle-mère qui désirait s’installer dans une « résidence troisième âge ». Il n’avait jamais débordé d’affection pour cette femme mais s’était efforcé de rester respectueux à son égard. En retour, elle l’aimait bien. Elle accepta de bonne grâce le tableau qu’elle plaça dans sa salle de bain et de fait, l’intention de Pèlerin était bienveillante.

Des mois durant, tout alla bien puis le peintre « du dimanche »reçut un appel du directeur de la résidence. Sa belle-mère n’avait aucun souci de santé mais posait désormais quelques problèmes. Dans sa tête, elle avait vingt-huit ans. Elle devait absolument se rendre dans un square au nom invraisemblable pour y faire l’acquisition d’un petit chien blanc qu’elle voulait offrir à Vincent, son fils chéri…Le fils en question avait aujourd’hui quarante-six ans…

Pèlerin soupira. Un jour, il serait sorti d’affaire…

 

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