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LE SOLEIL MEME LA NUIT. FRANCE ELLE.
26 décembre 2020

Ecrits hybrides. Le Square au petit chien.

ABS

 

Profitant d’une exposition-vente dans la petite ville voisine, il s’empressa d’y présenter une série de ses œuvres et notamment, ces trois tableaux. Les deux premiers trouvèrent acquéreurs dès le premier jour, ce qui le combla d’aise. Au moins, Adeline ne se verrait-elle pas ainsi caricaturée et sa femme ne se plaindrait-elle pas de l’évocation d’une jeunesse qu’elle préférait oublier. Le troisième tableau, par contre, lui resta sur les bras. On le trouvait joli, on lui en faisait compliment mais on le lui laissait. Pèlerin en fut d’autant plus surpris qu’il vendit beaucoup pendant deux jours. Il vit partir des œuvres qui, selon lui, étaient bien moins réussies que son « Square au petit chien » et en resta mal à l’aise. Son inquiétude s’accrut quand il remit en place la toile dans son atelier. Il constata qu’elle n’était plus tout à fait la même et sursauta. L’étudiant avait l’air sombre et le petit chien montrait les dents. Refusant de prêter attention à ce qui pouvait gravement le mettre en cause s’il en parlait à autrui, le peintre misa sur sa fatigue. Après tout, ces deux jours d’exposition avaient été très pleins. Malheureusement pour lui, les jours qui suivirent le convainquirent qu’il devait regarder la réalité en face : son tableau lui échappait ! Il était différent des autres. Bien sûr, il avait mis dans chacun d’eux une dose infime de lui-même et avait accepté d’ouvrir son cœur, ce qu’à l’habitude, dans ses toiles, il ne faisait pas. Mais il semblait qu’il avait libéré, dans sa troisième œuvre, toute une négativité personnelle qui était jusque-là restée en profondeur et qu’il contrôlait bien. Ces mères n’étaient pas maternelles ; ces enfants étaient mal élevés. Les intentions de l’homme entre deux âges n’étaient pas claires. Sans doute étaient-ils tourmentés par des désirs malsains…Quant à l’étudiant, il en voulait à une des mères et cachait, sous son visage impassible, une nature cruelle. Le tableau se modifia sans cesse des jours durant et l’effraya. Le seul personnage qui restait identique à lui-même et ne changeait pas totalement était le petit-chien. Ne tirant jamais sur sa laisse, il rayonnait de bienveillance. Pèlerin, cependant, se mit en tête que l’animal lui-aussi changerait et, avant que cette transformation ne soit effective, il décida pour éviter le pire, de mettre son œuvre en dépôt vente. Il répugnait à utiliser ce procédé et n’y avait jamais eu recours mais il ressentait une urgence. Qui sait ? Ce tableau ne faisait-il pas bien autre chose que de présenter les ressentis négatifs d’un peintre occasionnel ? Ne défendait-il pas une représentation plus large et incommensurable de ce qu’on appelle communément « le mal » ? Refusant de trancher, le peintre se rendit à Tours, grande ville qu’en homme de la campagne il évitait et gagna le quartier du théâtre. Il contourna celui-ci et trouva la boutique qu’il visait. Pour ne pas être en reste, il acheta plusieurs bibelots qu’il offrirait à ses proches et laissa plusieurs toiles. Le maître des lieux, Gaétan Richelieu, ne parut pas emballé par ses travaux, à l’exception d’un seul : « Le square au petit-chien ».

-Ah, ça, c’est bien ! Vous avez complètement détourné le propos ! D’habitude, ces dames sont gentilles comme tout ! Les bambins séduisent le spectateur par leur joli minois et les personnages annexes sont patelins. Eh bien, vous au moins, vous ne tenez pas le même discours ! Tout le monde est à couteaux tirés : les femmes vont se disputer, les enfants se battre et les deux autres ont l’air d’obsédés sexuels ! Et puis l’idée de mettre un molosse en scène ! Il ne va tarder à échapper à son maître, c’est clair et qui sait ce qu’il fera es enfants ! Bravo, c’est une réussite. Apportez-moi d’autres œuvres comme ça et je vous garantis le succès !

Michel Pèlerin resta pantois quand il vit une ultime fois son tableau. Mise à part la naïveté recherchée du trait et le choix des couleurs, plus rien ne ressemblait à l’œuvre de départ, qui se voulait paisible. Cette scène étrange et déjà violente, c’est pourtant lui qui l’avait peinte. En témoignait sa signature, en bas à droite…

Tournant les talons, il rejoignit sa petite ville et la paix de son atelier. Le tableau fut vendu dans les deux jours à une somme invraisemblable pour lui et il ressentit de l’orgueil. Toutefois, il n’alla pas s’en vanter. Il ne mit non plus en avant les sollicitations pressantes de Gaétan Richelieu qui voulait d’autres œuvres « du même cru ». Pèlerin peignit des jardins en fleurs, des bébés souriants, des jeunes filles sortant de l’eau ou encore des familles heureuses mais plus de square. Et surtout, plus de chien. Le dernier en date appartenait au square. C’était un molosse qui avait la taille d’un loup et avait des jaunes et cruels. Il relevait ses babines et montrait des crocs qui pouvaient, sans aucun problème, emporter le bras d’un enfant ou défigurer le visage d’une jeune femme. Quant aux deux hommes solitaires, il les raya aussi de son programme. Désormais, tout personnage masculin avait son pendant féminin : sœur, amie, épouse ou mère.

Pèlerin retrouva la paix, ignorant les aventures et mésaventures de son tableau et surtout le sort de ceux qui en faisaient l’acquisition…

 Un avocat à la retraite acheta le tableau et le mit dans son dressing. Ce n’était pas une œuvre majeure et, à bien regarder, le dessin n’en était pas toujours adroit. Le choix des couleurs, par contre, était surprenant. Les teintes pastel prédominaient alors que l’ambiance était à la guerre ! Voilà qui était inattendu. Divorcé depuis longtemps, Matthieu Dupont-Debailly entendait que soit tue à son entourage deux de ses plus intimes passions : détruire la paix familiale et assumer son amour pour les corps enfantins. Pour ce qui est de sa première passion, il n’avait eu que l‘embarras du choix pour l’assouvir puisqu’il gérait principalement des divorces. Quel bonheur ça avait été d’inciter mari et femme qui souhaitaient se séparer à se déchirer plus encore et ceci en toute impunité ! Divorçant, ils ne faisaient après tout, que défendre leurs droits en plus de leur honneur ! Ah, il l’avait vue la saloperie humaine et encouragée ! Au bout du compte, l’un criait victoire et l’autre était spolié ! L’imbécile. Il fallait le choisir lui, comme avocat, au lieu d’attendre !

Dans sa vie privée, Dupont-Debailly avait géré deux divorces avec des femmes qui étaient sacrément coriaces. Il s’en était bien tiré sans les démunir le moins du monde. Il avait des biens auxquels elles n’avaient pu toucher et s’en remettaient mal. Vivant confortablement l’une comme l’autre, ils savaient qu’elles lui gardaient rancœur et s’en amusait. Il en allait de même avec les enfants qu’il avait eus des deux lits. Ils attendaient après un gros héritage qu’il faudrait partager mais là encore, il les tenait, du moins son fils aîné, qu’il n’aimait pas. Il avait fait des donations à droite et à gauche….Il en ferait une tête cet insupportable François-Xavier, aussi fat que sa mère !

Quant à se deuxième passion, ce tableau l’évoquait à merveille. Il avait, caché dans un coffre, une série de films et de vidéos d’un genre spécial et surtout il avait des photos. Il les avait prises lui-même. De vrais enfants qu’on lui avait emmenés ; des petits garçons surtout. Ah, la bassesse humaine ! Il y en tant qui changent dès que l’argent paraît. Les enfants, il les photographiait avant et après. Ensuite, il ne pensait plus jamais à eux. Des plaintes, il aurait pu y en avoir puisqu’il n’allait pas toujours à l’étranger mais non, on n’avait jamais rien allégué contre lui. Il était malin et donc intouchable ; et puis, c’est bien connu, les petites victimes traumatisées n’ont pas de parole. Qui les croirait, de toute façon ?

 

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