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LE SOLEIL MEME LA NUIT. FRANCE ELLE.
26 décembre 2020

Ecrits hybrides. Le Square au petit chien.

ABS

Michel Pèlerin regardait les trois dernières toiles qu’il avait peintes et son impression première restait juste : voilà des toiles qui le surprenaient car elles s’appartenaient à elles-mêmes. Elles étaient déjà indépendantes de lui et c’était bien là ce qui était intriguant. Il dessinait et peignait depuis une quinzaine d’années et ce qui était au départ un humble passe-temps était maintenant très prenant. Il avait, depuis longtemps, cessé de griffonner à la sauvette. Il disposait désormais d’un atelier situé au fond du jardin de sa jolie maison où vaquaient encore son épouse et la dernière de ses filles. Ne négligeant jamais son emploi de clerc de notaire, il donnait à sa famille le peu de temps qu’elle exigeait de lui. Ses liens avec Nicole, sa femme, n’étaient plus que routine et Anaëlle, sa fille, communiquait peu avec lui sans qu’il cherchât à améliorer leur relation. Il restait cette passion qui l’animait et son travail fini, il filait dans son atelier. Ni son épouse, ni ses enfants ni ses parents ou beaux-parents avaient cessé de lui dire quoi que ce soit. Il y était indifférent. Du reste, il n’était pas désagréable, faisait des cadeaux aux siens aux dates attendues et assistait à des réunions de famille. On avait admis qu’il fasse des stages de dessin, qu’il expose régulièrement et même qu’il vende certaines de ses toiles naïves ! En Indre et Loire, les grandes villes pouvaient s’enorgueillir d’accueillir, de manière régulière ou ponctuelle, des artistes de renom mais on était ici dans un village. Tours était distante d’une cinquantaine de kilomètres. Un talent « moyen » et « provincial » convenait à une bourgade où on se préoccupait essentiellement de probables licenciements dans l’usine voisine, de la rénovation d’une salle de spectacle favorisant l’éclosion d’un « Festival d’été » et du dérèglement des saisons. De cela, Pèlerin se moquait. Qu’il ne soit pas un « artiste maudit » que le siècle à venir découvrirait, il le savait bien. Qu’il n’ait pas de quoi épater des critiques snob, il en était conscient aussi. Mais la peinture faisait partie de sa vie et il avait, à travers elle, changé de vie. Intérieure, tout au moins. Il avait mieux cerné ses thèmes, choisi sa thématique de couleur et défini ses intentions. C’était là son labeur. Les trois tableaux qu’il avait sous les yeux montraient bien qu’’il y était parvenue. Elle était bel et bien là, cette fermeté de ton que, des années durant, il avait recherchée. IL y avait de quoi être fier !

La première toile représentait une jeune femme dans sa baignoire. Les sels de bain qu’elle avait utilisés avaient moussé rendant son corps invisible. Seules émergeaient ses épaules et sa tête. Elle était assez jolie avec ses cheveux blonds ramenés en arrière et tirés en queue de cheval et ses yeux bleus. Elle regardait droit devant et on devinait qui elle était, sous le trait et le coloris naïf : c’était une « Ambitieuse » ! En fait, il avait pensé à Adeline, sa fille aînée. Celle-là, elle s’était laissé influencer par sa mère qui lui disait d’épouser « quelqu’un » de bien. A peine veuf, le médecin du village avait été assailli et courtisé. Il quitterait sans doute le village pour Tours, considérée comme la métropole des métropoles, mais pas avant longtemps. Il ne voulait pas d’enfant, en ayant déjà quatre et Adeline pliait. Malgré tout, logeant dans une belle maison, elle était fière. Michel éviterait de lui mettre cette toile sous le nez. Elle n’était peut-être pas blonde mais elle n’était pas idiote. Elle verrait ce qu’il pensait d’elle…

La seconde toile représentait une jeune fille dans une étable. Elle n’était pas très jolie, à cause de son nez recourbé et portait des vêtements qui l’enlaidissaient. C’était Renée jeune fille, avant qu’il ne se marie avec elle et qu’elle n’ait de folles idées. Il n’était pas l’arriviste qu’elle voulait rencontrer. En dehors d’un travail qu’il aimait bien, d’une jolie maison en pierre de taille et de trois enfants auxquels il avait accordé beaucoup de soins, il était indifférent à toute forme d’ascension sociale. Seuls les arts l’intéressait et, parmi ceux-ci, la peinture. Renée, la fille de fermiers endettés, avait dû oublier ses rêves. Il l’avait dotée, sur le tableau, d’un joli sourire et d’un regard rêveur. Elle veillait avec soin sur de belles vaches aux pis gonflées. C’était une vision tendre qui lui restait d’elle et ce tableau, il le savait, ne la mécontenterait pas d’autant qu’il l’avait maintes fois peintes sans jamais la faire poser. Elle avait alors de beaux atours.

Le troisième tableau était plus singulier car il ne se rattachait à rien. Il représentait un square comme on en trouve dans toutes les villes moyennes. Deux femmes, assisses sur un banc, regardaient leur progéniture jouer dans un bac à sable. Il s’agissait de deux petites filles et d’un petit garçon. En dehors du bac, un homme d’une cinquantaine d’années contemplait la scène avec attendrissement tandis qu’un très jeune homme aux allures d’étudiant se tenait droit, l’air rêveur, le regard perdu dans le vide. Il tenait en laisse un petit chien qui, lui, regardait le spectateur avec bonté. Enfin, c’était un regard de chien : on pouvait se contenter d’y lire une bienveillance naturelle. En fond de décor, on distinguait un kiosque à musique. Il était vide. Une belle lumière d’été enveloppait les personnages. Ce devait être l’été. Comme elle n’était pas très forte, on devinait qu’on était en fin de journée. Les visages rieurs ou non, étaient paisibles. Toutefois, cette œuvre dérangeait Pèlerin, bien plus que les deux autres. Il était incapable, cependant, d’en connaître la raison…

 

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