A deux mille cinq cent mètres, par contre, existaient des sources d'eaux chaudes, l'eau s'étant réchauffée car elle était en contact avec le magma. On y trouvait des bactéries formant une dense matière organique qui servait de nourriture. Il y avait de quoi être étourdi ! Quoi, une vie sans les hommes. Les animaux ici nageaient lentement et pouvaient ralentir leur métabolisme pour les adapter à des jeûnes prolongés. Si un vertébré aussi gigantesque qu'une baleine venait à s'échouer, des centaines d'habitants des abysses pouvaient arriver de partout pour se repaître de la charogne. Mais d'autres occupants des lieux filtraient le sable pour y trouver leur nourriture. Patient, curieux mais vigilant, ne hâtant rien, il poursuivit sa descente, fasciné par cette circulation silencieuse de créatures bossues, difformes, fermes ou molles, informes ou très dessinées. On l'ignorait le plus souvent mais on s'arrêtait à lui aussi et il voyait s'ouvrir des mâchoires petites mais redoutables, s'allumer des regards menaçants, des jets de couleur étaient lancés, des mouvements furibonds se faisaient...Que d'étonnements continus !
Victor descendit encore, toujours maître de lui-même, toujours serein. Ce à quoi il ne croyait pas, c'était à une adaptation de la vie humaine à de telles profondeurs car nul n'y survivrait. Pour pallier à la dégradation de la planète, il faudrait faire autrement. Mais l'Homme, il le savait, ne s'avouerait pas vaincu si facilement. Les richesses découvertes dans ces profondeurs avaient une importance économique significative mais la majorité des abysses se situait dans les eaux internationales où leur exploitation était peu réglementée. Seuls quelques pays avaient les capacités techniques de les explorer et envisager d’utiliser leurs richesses. Alimentation, santé, médicaments, produits industriels...Tout était possible...Mais il faudrait faire attention : le monde abyssal jouait déjà un rôle central dans l’équilibre écologique de la planète en participant à la régulation du climat, aux échanges de chaleur, de gaz et d’eau avec l’atmosphère et au maintien de la biodiversité. Un autre monde capital mais fragile dont il faudrait prendre le plus grand soin/
Victor était certes un scientifique mais il était un casse cou et un flambeur qui aimait qu'on l'encense. En touchant terre, il se félicita lui-même en consultant ses radars. Il venait de battre un record et on en entendrait parler ! Toutefois, il n'était pas dupe. Ce qu'il avait aperçu flottant à plusieurs reprises, c'était bien des sacs plastiques et il devait y en avoir sur ce sol intouché par l'homme. Maîtrisant un sursaut horrifié, il se concentra sur ceux qui le contemplaient à cet instant. Ce grand poisson cabossé, cette gorgone inquiétante, cette anémone de mer translucide, ces éclats d'or et d'argent, ces couleurs violents soudain dans cette nuit de l'océan...Et, avant d'amorcer sa remontée, il réussit à rester heureux...