11 mai 1960

Buenos Aires

Quartier de San Fernando

Ricardo Klement

C'était un jour ordinaire et je devais aller travailler. J'étais un mécanicien sérieux sur lequel on pouvait compter même si ma prise de poste était récente. Je n'étais guère à Buenos Aires que depuis le mois de juillet 1959 mais j'avais de bonnes références. J'étais un manuel, un ouvrier polyvalent, adaptable et solide. Bien sûr, je regrettais San Miguel de Tucuman, une belle ville située à plus de cinq cent kilomètres de là, près de la Cordillère. L’atmosphère y était, on va dire, plus chaleureuse et provinciale et j'y avais mes habitudes, y ayant passé neuf ans. Depuis 1952, je n'y avais plus vécu seul, ma chère femme et mes trois fils m'ayant réjoint. J'avais pu compter sur « l'Organisation » pour ce transfert. Du reste, j'avais toujours pu compter sur elle. Oui, Tucuman, ça avait été des temps heureux mais il m'avait fallu quitter l'entreprise hydroélectrique où je fournissais un bon travail. Bah ! C'était comme ça.

Mais je reviens à ce jour ordinaire. Il était très tôt et le jour ne s'était pas encore levé. Véra était à la maison avec Klaus, Horst Adolf et Dieter Helmut et bien sûr, elle veillait par dessus tout sur Ricado Francisco, notre petit dernier. Eh oui, une famille de garçons où on parlait allemand à la maison et espagnol dehors. J'aime la vie de famille. J'ai beaucoup de rigueur, certes, mais je suis un bon mari et un bon père. Mais bref...Les jours de semaines se ressemblent. Celui là ne promettait pas d'être différent. Pourtant, c'est arrivé. Je devais marcher jusqu'à la station de bus et l'ai fait comme d'habitude. Tout a été très rapide. Attaque dans une semi obscurité, coups et transfert dans une voiture qui a démarré aussitôt. On m'a bandé les yeux. J'ai dit :

-Je suis Ricardo Klement. Mes papiers sont en règle. Je vais manquer mon travail.