-Szalazy sort de prison et triomphe…
-Non ! Son parti est concurrencé par un autre avant d’être interdit. Étant redevenu le leader des Croix fléchées, il se voit de nouveau menacé. C’est en secret qu’il recherche l’appui des Allemands. Celui-ci ne sera pas effectif immédiatement mais Férenc Szalazy aura brièvement le pouvoir. Je vous l’ai dit, en octobre 1944, Horthy est contraint de nommer le chef des Croix fléchées premier ministre. Il abdique et voilà que cet obscur putschiste prête serment devant la couronne de Saint-Étienne ! Il devient ainsi le chef de la Nation hongroise. Bien entendu, les atrocités se multiplient et ce nouveau guide semble quitter la réalité. Son pays est non seulement envahi par l’Armée rouge mais il est confronté à une résistance très active. Loin de penser que tout est perdu, le nouveau chef d’état propose, c’est la rumeur qui le dit, le titre de roi à Hermann Goering, afin d'obtenir le soutien armé qu'Hitler promet à ses alliés contre les communistes. Rien ne va comme il veut car, en décembre, Budapest est encerclée. Retenez la date exacte car elle est belle : c’est le 24. Pourtant, il doit abandonner sa belle capitale pour se réfugier, avec son gouvernement, plus à l'ouest, à Kőszeg, près de la frontière autrichienne, laissant le soin de défendre la ville aux SS et aux Croix fléchées. En janvier 1945, l'armée soviétique occupe Buda, puis Pest tombe le 13 février 1945, ce qui met fin à la bataille de Budapest mais pas à son inventivité. Il se réfugie en Allemagne, à Augsbourg et y poursuit son travail jusqu’à ce que les Américains l’arrêtent et le remettent aux autorités hongroises. Son procès est bref. Commençant le premier mars 1946, il dure douze jours au terme desquels un tribunal populaire le condamne à la pendaison. Dans la foulée, plusieurs de ses ministres sont condamnés à mort et exécutés. Dans tous les cas, le chef d’accusation est le même : crimes de guerre et haute trahison. Le corps de l’ancien guide de la Hongrie est brûlé et ses cendres dispersées sur une place inconnue, ici, à Budapest.
-Ainsi, il ne reste rien de lui. Le Bien aura triomphé.
-Férenc Szalasi était un être pétri d’orgueil et il admirait inconditionnellement le Führer. Il aurait voulu être, comme lui, un homme providentiel tout autant qu’un grand stratège. Il aurait aimé inspirer à ses sujets le même culte de la personnalité. Mais il n’avait pas d’envergure, pas de charisme. Regardez-le physiquement sur les photos d’époque et vous comprendrez ! Ce visage flétri tant il est veule, ses traits épais, ce regard terne… Quant au drapeau des Croix fléchées ! Cette croix sur fond blanc alors que le drapeau est rouge ! Ils n’avaient guère d’imagination. Vous aurez compris que l’iconographie de ce nouveau parti était similaire à celle des nationaux-socialistes allemands. L'emblème des Croix Fléchées était un ancien symbole des tribus magyares, supposées représenter la pureté de la race hongroise, comme les Aryens représentaient la pureté de la race allemande pour les nationaux-socialistes. L'idéologie du parti était similaire à celle des nationaux-socialistes: nationalisme, promotion de l'agriculture, anticapitalisme et anticommunisme. L’antisémitisme, plus profond en Allemagne qu’en Hongrie, s’y ajoutait.
La voix de l’Ange était devenue, à mesure qu’il traduisait, plus rauque et plus belle. Je me pouvais m’empêcher de me retourner vers lui, qui se tenait derrière le grand fauteuil grenat que j’occupais dans ce beau salon « rouge rubis » qu’adoraient les fugaces pensionnaires du palais Istvanfy.
-Poursuivez, je vous prie.
-Cette idéologie souscrit également à l'idée de races, notamment d'une race « gondwanienne » qui, selon les vues de Szalasi, incluait les Hongrois, les Japonais et les Slaves, et à une conception de l'ordre fondée sur le droit du plus fort — ce que Szalasi appela « réalisme étatique brutal ». Les Croix Fléchées professaient un « Co-nationalisme » fondé sur la coexistence pacifique des affirmations nationales. » Comprenez que ce n’est pas ce verbiage qui me choque mais ces temps de folie ne disparaissent jamais ! Jamais ! Vous le savez, n’est-ce pas ?
-Je crois que oui.