Puis, il démarra et mon regard s’accrocha d’abord à son pur profil d’ange vénitien avant de découvrir les beautés architecturales d’un splendide quartier historique. La maison des Istvanfy tenait plus du palais que de la chambre d’hôtes de charme. Sa belle façade d’un rouge sombre était ornée de statues, de celles qui, à Versailles, soutiennent ou encadrent les fenêtres. Ses portes en étaient monumentales et quand elles s’ouvrirent, je vis paraître une entrée somptueuse, tendue de rouge et décorée de tableau. C’était bel et bien un domestique qui me conduisit dans un grand salon où nous accueillit la maîtresse des lieux. Celle-ci avait beau porter un tailleur de demi-saison, gris et rouge, elle n’en sortait pas moins d’un univers ancien. Ses aïeules avaient dû hanter les soirées mondaines qui se donnaient à Vienne et ici à Budapest avant l’effondrement de l’empire austro-hongrois. En robes de bal comme avait dû en porter l’impératrice Elizabeth et les femmes de la haute-noblesse, elles avaient étalé rivières de diamants et étole de fourrure. Leurs descendantes avaient dû garder une certaine superbe avant que la seconde guerre ne mette tout à mal. A supposer que certaines d’entre elles aient pu garder leur train de vie, elles l’avaient de toute façon perdu quand les Allemands puis les Russes étaient arrivés. C’était du moins mon opinion.
Quoi qu’il en soit, le palais était splendide et je me répandis en éloge. Péter en parut amusé :
-Allons dans un des petits salons attendre vos hôtes. Il s’agit du salon jaune.
Il méritait son nom bien sûr car je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse à ce point décliner une telle couleur. Je m’extasiai de nouveau avant de montrer mon inquiétude :
-Mais l’envahissement de votre pays par l’Allemagne au dû porter un coup terrible à des palais comme celui-ci !
Il m’adressa un merveilleux sourire mais ne me répondit pas. Je poursuivis donc :
-Mais que s’est-il passé entre ses murs quand les Nazis y ont pris place ? J’imagine qu’une demeure de ce type ne pouvait attribuée qu’à un très haut-gradé. Les Communistes n’avaient les mêmes ambitions : on avait dû diviser le palais en lots, faire disparaître les merveilles artistiques qu’il contenait et imposé un mode de vie spartiate. Sauf si la Nomenklatura locale avait eu certaines options. Mais garder tel quel un palais grandiose, c’était peu recevable…
Cette fois, Péter fronça les sourcils.
-Le palais avait été vidé de toutes ses richesses quand les nazis ont pris Budapest. Quelques gradés se sont bien intéressés à un tel lieu mais ils sont vite passés à autre chose. Quant aux communistes, il faut croire que tous n’étaient pas stupides. Les tableaux de maîtres, les somptueuses bibliothèques et les instruments de musique précieux y ayant fait leur réapparition, il est devenu un musée.
-Mais ses occupants ?
-Partie prenante. Ils se sont logés plus modestement…
-C’est-à-dire ?
-Pourquoi refuser que tous puissent voir ces tableaux, ces miroirs, cette somptueuse marqueterie que vous admirez dans chaque salle ?
-Mais ce bien, on le leur a confisqué ! L’ont-ils récupéré ?
-Vous en avez la preuve…
Sur ces entrefaites, la porte du salon s’ouvrit sur une Paulina aux joues rougies.
-Je suis revenue aussi vite que possible. Ce que vous transportiez vous aurait détruite mais vous n’avez plus rien à craindre. Tout va bien.