ange ANGE

Arrivée à Budapest, Agnès est placée sous la protection de deux jeunes gens qui, en fait, sont des anges.

-Vous savez, Budapest est une ville très étendue. Elle a une superficie de cinq cent vingt -cinq kilomètres carré, ce qui signifie qu’elle est quatre fois plus étendue que Paris. Le centre de Budapest, l’aire urbaine si vous voulez, c’est deux millions six cent mille habitants et si vous ajoutez la périphérie, c’est bien plus. Il y a vingt-deux arrondissements qui n’offrent pas tous le même intérêt pour les touristes ! Ceux-ci adorent le premier t à cause du quartier du château. Bientôt, cette partie de la ville vous sera familière car c’est là que vous logerez. Vous avez demandé à ne pas être à l’hôtel mais à loger plutôt chez des particuliers. Vous êtes exaucée. Vous verrez que Sandor et Szilvia Istvanfy ont une maison merveilleuse. Istvanfy est un nom aristocratique en Hongrie et vous vivrez des semaines dans un très beau lieu. Naturellement, plusieurs chambres ou suites sont régulièrement louées mais, comprenant votre désir de séjourner longtemps dans capitale, ils vous ont installée au ré de chaussé où vous serez au calme.

-Ça me fait déjà rêver !

-Ah et l’Institut Français de Budapest se trouve dans cet arrondissement ! C’est le quartier du château et vous serez sous le charme : l’église Matthias et la Bibliothèque nationale sont superbes.

-Alors, j’ai une chance magnifique !

-Le second arrondissement est très chic : on y trouve les bains Lukacs. Vous tomberez amoureuse du troisième, avec l’île d’Obuda mais aussi du dixième à cause de ses grands parcs et du onzième avec la citadelle et l’hôtel Gellert. L’opéra se trouve dans le sixième arrondissement et vous aimerez ces quartiers autant que ceux du huitième. J’adore cette partie de Budapest, avec le Musée National hongrois, le théâtre Erkel…Mais vous savez, je dois m’arrêter là sinon, vous ne serez plus curieuse !

J’étais charmée mais un peu perplexe.

-Permettez-moi de vous poser une question à tous deux : savez-vous pourquoi je suis venue ?

Paulina, qui jusque-là n’avait rien dit acquiesça :

-Vous êtes venue pour Sara Salkahazy et nous ne serons pas ceux qui vous en apprendront le plus sur elle mais vous ne pouvez la séparer de son pays et dans un premier temps, il est bon que vous y sentiez une touriste. Budapest est une capitale splendide. Elle le savait bien avant vous. Laissez-nous vous guider dans cette ville…

Étourdiment, je leur fis des compliments :

-Peut-on souhaiter meilleurs guides que vous ! Vous tous deux si beaux et parlez si bien français et vous connaissez bien votre pays !

Dans le rétroviseur, je rencontrai le regard du jeune homme et y vit une lueur d’inquiétude. La jeune fille me tournait le dos mais je sentis qu’elle-aussi était agitée. Je me tus et quelques instants durant, un silence plein de sous-entendus s’établit puis la jeune fille reprit :

-Madame Donnelle, Péter et moi sommes le plus souvent des guides touristiques conventionnels comme vous pouvez en rencontrer dans toutes les capitales d’Europe, quand affluent les touristes. Bien sûr, nous ne travaillons que depuis deux ans, ce qui nous rend plus jeunes que la moyenne et attractifs mais…ne vous trompez pas…

-Que je ne me trompe pas ?

-Bien sûr, vous verrez beaucoup de beautés à Budapest et votre cœur en chavirera. Mais contrairement à tous ceux qui ne viennent ici que pour se faire photographier devant nos plus beaux monuments ou devant les toiles les plus fameuses de nos musées, vous avez un autre but. Sara, c’est une femme qui s’est trouvée face aux Croix fléchées. Tant de corps étaient jetés dans le Danube à cette époque ! Nul besoin de tuer ceux qui ne savent pas nager mais quel plaisir de tirer sur ceux qui sortaient la tête de l’eau…Elle leur a tenu tête. Personne ne l’obligeait à subir le même sort que ces Juifs qu’on jetait vivants dans ce fleuve qui n’était plus bleu mais rouge ! Elle leur a tenu tête…

J’étais abasourdie. Péter reprit.

-A Paris, à l’aéroport, il vous est arrivé quelque chose, n’est-ce pas ?

Des larmes commençaient à couler sur mon visage.

-Comme un mauvais rêve…

-Non. C’était très réel en même temps.

-Mais comment le savez-vous ?

-Nous ne sommes pas EUX. Nous sommes des Anges.

-Vous êtes deux jeunes hongrois blonds et en couple.

-Vous savez que nous disons vrai.

-Et Lila et Artur ?

-Ils en savent moins que nous sur vous mais ont fait leur possible.

-Gabor ?

-C’est un homme bon.

Je me sentais totalement oppressée. Ils arrêtèrent la voiture. Nous n’étions pas en centre-ville mais dans un quartier banal. Je sortis brusquement pour vomir et Paulina me tendit un mouchoir avant de prendre par le bras. C’était le geste tendre d’une jeune fille pleine de sollicitude mais bien plus que cela, c’était le début d’un combat…

Péter vint se placer près d’elle et ils me regardèrent tous deux avec gravité. Ils étaient l’un et l’autre d’une beauté sculpturale qui m’émerveillait et m’intimidait. C’est vrai, ils étaient, tout au moins par le physique, des anges…Le jeune homme toutefois parut lire dans mes pensées :

-Il faut bien que nous ayons belle apparence…Qui écouterait un ange laid ?

Cela me fit rire mais posant sur moi ses magnifiques yeux clairs, il me dit :

-On a mis quelque chose dans votre valise.

-Je l’ai faite moi-même. Je sais donc ce qu'elle contient.

-On vous a fait un cadeau, alors ?

-C'est un cierge ! Il ne peut être totalement maléfique. Une fois...

-Ne le gardez pas. C’est trop grave.

-Ils me retrouveront ?

-Il est clair qu'ils ne vont pas lâcher mais ne leur facilitez pas le travail !

Paulina alla chercher ma valise dans le coffre et s’empara du maléfique objet qu’elle enveloppa dans un tissu noir avant de le faire disparaître dans l’immense sac à main qu’elle portait en bandoulière. Je me sentis si mal que je dus m’appuyer contre une porte cochère pour ne pas m’évanouir. C'était comme un arrachement. Péter me prit par le bras et me fit asseoir à l’avant de la voiture tandis que son épouse s’éclipsait. Je me mis à geindre.

-Qui êtes-vous ? Où va-t-elle ?

- Vous voyez, vos idées deviennent confuses ! Écoutez, jamais nous ne mentirons à quelqu’un comme vous. Elle va détruire ce qui doit l’être. Et nous sommes qui nous disons être : des guides et des Anges…