Et on était en juin sans que j’aie le moindre projet. C’était ma faute, ma très grande faute. Il y avait de l’argent sur mon compte courant et j’avais des réserves de toute façon. Je finirais bien par commettre un acte de folie qui me permettrait de garder la tête haute : trois semaines à Venise dans un hôtel chic ou encore un voyage en Nouvelle-Zélande puisque j’en rêvais. Je pouvais aussi m’inscrire à un stage de japonais…Non, ce ne serait pas là un acte d’amour mais une pure satisfaction égoïste. Il fallait bien que j'entretienne ma légende ! J’avais perdu un compagnon loyal par cupidité et froideur et il m’avait rendu la monnaie de ma pièce en n'avouant même pas une liaison. Où était l’amour ? Nulle part. J'aurais pu camper des mois sur mes positions avec des raisonnements pareils mais m'avouer que j'étais si froide ne me laissa pas satisfaite longtemps. En fouillant dans mon passé, je me souvins que je n'avais jamais été cynique et avais pu éprouver des sentiments extrêmes. Loin de ces voyages futiles, je devais me donner une mission et aller au-delà des conventions établies.

Dans le monde, il existait des hommes et des femmes de bonne volonté qui œuvraient pour l’humanité, secourant qui des enfants, qui des femmes violées, qui des réfugiés entassés dans des camps. Ceux-là étaient dans le camp de l’Amour, du grand, du vrai, celui qu’on chante l’été dans les rassemblements catholiques et qui fait l’objet d’articles dans une certaine presse. Je compris d'emblée que je n'avais pas ma place parmi eux. Il me fallait donc chasser sur d'autres terres...

Je fis mes comptes, gardai un peu pour moi et utilisai une bonne partie de ce que Nicolas avait au fil du temps mis sur mon compte pour faire trois dons assez conséquents. Je choisis des associations dont le sérieux était avéré. Les remerciements furent immenses. On me porta aux nues. Cela me ravit mais aucune solution ne m’apparaissait encore pour l’été. Léonie partirait en Andalousie avec son père avant d'aller en Angleterre mais moi, je n’avais aucun projet. A Nicolas qui m’appelait, je mentis, disant que j’irais deux semaines à Rome. Il me crut mais je me dégradai encore. Je devins suprêmement égoïste et rageuse, ne décolérant pas contre tout un chacun, moi-même compris. Il finit par m'envoyer au diable ! Au diable, rien que d'y penser ! J'en ris d'abord puis le pris au mot. Comment faisait-on pour le trouver celui-là ?

Je me couvris de louanges. Moi qui emmagasinais de l’argent, voilà que je m’en étais délestée. Il y aurait forcément un remerciement à mon attitude et j’attendis un signe parce que partout en amour, on dit qu’il y en a. Qu’on parle d’amour charnel, conjugal, spirituel, qu’on soit terre à terre ou mystique, il y a des signes. J’avais été bonne, j’avais fait des dons ! J'étais une méchante repentie, une pécheresse qui s'amende, une âme perdue qui ne veut pas déchoir ! A quelles délices que ces jérémiades ! Voilà, je n'étais plus dans la fange...

Soudain, je me rendis à l’évidence : j’attendais un signe qui, à n’en pas douter, serait d'ordre spirituel. Pour ce qui est du signe, je ne me trompai pas car il vint. Pour le reste, l'aventure que j'allais vivre serait bien différente des rêves que je faisais.