22 Mai 1960. 10 avril 1961.

Jérusalem.

Prison de Ramla.

Adolf Eichmann.

On m'a doté de plusieurs pièces mais dans chacune d'elle, on ne me quitte pas des yeux. On m'a laissé une tenue civile. On me permet de lire et d'écrire. Je mange à ma faim bien qu'on prenne d'immenses précautions. Tout arrive scellé. On enlève les couvercles devant moi et je ne mange pas seul. On ne laisse jamais traîner aucun ustensile.

Je pense à mes jeunes années. J'aimais la nature et les oiseaux et le sport aussi. Je n'avais pas de dispositions pour les études mais je n'ai pas souvenir que mes parents m'en aient fait reproche. J'ai appris la mécanique avec facilité et j'ai aussi été vendeur. En Allemagne puis en Autriche où j'ai vécu, il y avait une grande souffrance, une grande humiliation. Tout jeune, je ne l'ai pas saisie mais ensuite, oui.

L'armée m'a vite tenté. A partir de 1934, j'ai intégré la SS et gravi tous les échelons. La question juive était préoccupante et il fallait des solutions. En 1937, j'ai travaillé à une émigration massive des Juifs en Palestine mais ce projet a avorté. De la même façon, en 1940, j'ai élaboré un autre plan pour que les Juifs soient massivement regroupés à Madagascar. Une partie de l'île est peu apte à la survie humaine et donc notre problème commençait à avoir une solution. Cependant, là encore, tout est tombé à l'eau. Heureusement, la conférence de Wannsee est arrivée.  Je me suis dit : À quoi bon élaborer mes propres projets ? Je suis trop faible et sans pouvoir. Désormais — c’était la guerre — je ne ferai plus que ce qu’on m’ordonne de faire ; J’ai éprouvé de la satisfaction en analysant ma situation au regard des conséquences de la conférence de Wannsee. À ce moment-là je me suis senti vierge de toute culpabilité. Les personnalités éminentes du Reich s’étaient exprimées lors de cette conférence, les « pontes » avaient donné leurs ordres. Il me restait à obéir. Je l'ai fait. Bien sûr, ce qui était proposé était assez monstrueux mais, à mon grand regret, étant lié par mon serment de loyauté, je devais dans mon secteur m’occuper de la question de l’organisation des transports. Je n’ai pas été relevé de ce serment.  Et d'ailleurs, pourquoi m'aurait -on relevé ?

J'ai ensuite pensé à ma chère femme, à mes fils et surtout à mon petit dernier. J'ai pensé à Linz et à l'Autriche de mon enfance, aux forêts près de Hambourg où j'ai coupé des arbres, au port de Gênes et à mon arrivée en Argentine . Ma vie a été mouvementée et riche.

Et pour le reste, je n'ai pensé à rien.