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LE SOLEIL MEME LA NUIT. FRANCE ELLE.
18 avril 2024

Sœur des Anges. Partie 2. Avec Arthur et Lilli.

 

Reçue à l'Alcyon Club, une association de Hongrois, Agnès parle avec ses hôtes. La figure de Sara Salkahasy est déjà présente.

-Je ne connais rien à la vocation religieuse…

-Vous n’êtes pas la seule mais si vous souhaitez aller en Hongrie pour servir Sara Salkahazy, il faut bien que vous ayez des connaissances. Comment comprendre son chemin, sinon ?

-Un chemin de vie religieuse peut se comprendre ici, en France et partout ailleurs. Mais cette Sara a été si saisie par Dieu qu’elle a enduré le martyr. Je sais que des religieuses françaises l’ont subi elles-aussi mais c’est elle qui m’attire, peut-être à cause de ses déserts…

-Vous pensez aux vôtres ?

-Comment cela ?

-Les questions que vous vous posez sur cette femme, vos regards…

-Oh, ma vie a été plutôt calme. Égoïste mais calme.

Il ne parut pas d'accord.

-Il vous est arrivé quelque chose. Vous avez été bouleversée...

Je pensais à la villa, à mes multiples accouplements et à mes jouissances violentes. Et je pensais aussi à cette seconde session à laquelle je n'avais pas participé et à ces deux catégories de membres. Les privilégiés et ceux des fourgons. Qui pouvait bien être là ? Et pour quelle raison ? Matteo m'avait perturbée ne me disant rien.

-Oui, je dois l'avouer.

-Je ne veux rien savoir d'autre. Sara vous atteint car elle s'est sacrifiée.

-Oui, c’est si ultime !

-Mais pour vous très mystérieux !

J’acquiesçai et mon interlocuteur en parut touché. Puis il déclara vouloir me laisser tout à ma lecture. Le lendemain et le surlendemain, il revint. J’avais déjà beaucoup appris mais il ne montra rétif quand je le questionnai. Tout ce qui concernait Sara à Budapest devait être traité en Hongrie. En termes d’années, c’était peu. Elle avait été assassinée en 1944, un vingt-sept décembre, deux jours après la célébration de la Nativité. Comme celui d’autres victimes, on avait jeté son corps dans le Danube. Au couvent, on l’attendait ce jour – là et, comme on ne venait pas et que les nouvelles circulaient d’une manière ou d’une autre, on avait compris qu’elle ne reviendrait pas…

Le sacrifice.

Ne pouvant rien d’attendre de plus sur Sara, je cherchai à en savoir plus sur Gabor Milahy. Il ne se montra pas hostile mais fut très direct :

-En 1965, j’avais vingt ans. Avez-vous entendu parler de ce qui s’est passé en 1956 dans cette ville que vous allez découvrir ? A dix ans, à vingt ans, on sait. La Barbarie, on ne la comprend pas car elle n’est pas compréhensible. On la subit. Mes parents étaient habiles. Nous avons atterri en France. Enfin, ma mère et moi y avons atterri. Mon père devait venir…n’est pas venu…

-Le Club Alcyon accueille beaucoup d’hommes comme vous ?

-Non, les membres en sont bien plus jeunes. Ils sont nés en France de parents hongrois qui y résidaient déjà. Mais Artur et Lila sont très tournés vers l’histoire de leur pays et se sentent responsables de qui veut en parler. Un témoin du communisme sera aussi bien reçu qu’un jeune auteur qui veut parler de l’empire d’Autriche-Hongrie ou d’un journaliste ou historien qui veut évoquer les Croix fléchées à condition qu’il sache de quoi il parle. D’un autre côté, ils font tout ce qu’ils peuvent pour promouvoir une autre image de la Hongrie et je les comprends. Nous avons été envahis par les Turcs, nos villes et nos villages ont vu passer et partir des envahisseurs, nous avons été malmenés et détruits mais notre pays reste splendide. Ils s’acharnent à le faire savoir. Estimez-les !

-C’est que je fais.

-Vous faites bien. Notre pays mérite d’être aimé !

Je le revis lors de dîners que mon hôtesse organisa. Chaque matinée, elle m’entretenait de tout ce concernait la Hongrie. Elle faisait cela de façon plaisante car elle ne négligeait : ni l’histoire de son pays, ni sa géographie, ni sa cuisine ou ses costumes traditionnels.

Au déjeuner, son mari ne paraissait pas mais il venait toujours quelqu’un : un peintre, un violoniste, un sculpteur ou encore un cinéaste ou un chercheur. Lila était drôle et très vivante. La nourriture était excellente et chacun était de bonne humeur.

Chaque après-midi, je me promenais avec elle ou un membre de l’Alcyon club. Chacun, à sa manière, m’aidait dans mon projet. Peu connaissait mes vrais mobiles, se contentant de savoir que j’allais vivre des semaines durant dans un pays dont pour l’instant je ne connaissais rien. Il était facile de parler avec l’un ou l’autre, d’aller manger quelque part une pâtisserie hongroise ou visionner un vieux film. On me tendait un verre de Tokay et je me sentais heureuse, délassée.

Le soir, son mari paraissait. Il fallait s’habiller et paraître distingué. Beaucoup de membres de l’association venaient. On jouait du piano ou du violon. Du classique mais des airs tziganes aussi. Sous la gaîté, paraissait la plainte des exilés ou de ceux qui, nés ou arrivés en France, ne savaient plus où étaient passés l’un ou l’autre de leur parent. Il s’agissait là des plus âgés car les plus jeunes n’étaient pas ainsi : heureux à Paris, ils captaient la souffrance de leurs aînés sans vouloir le perdre. En saisissant cet héritage, ils se montraient pleins de confiance en l’avenir.

Chacun des jours de cette semaine fut divin et je n’eus jamais peur. Tout avait été lu, expliqué et discuté. Je venais de passer plusieurs mois enrichissants, naviguant entre Bourges et Tours. Mes cours à l'université m'avaient beaucoup apporté et mes rencontres avec les religieuses raffermi malgré l'étrange épisode Matteo. J’allais partir en paix quand deux événements me troublèrent.

La veille de mon départ, j’allai faire quelques courses dans une galerie marchande que Lila m’avait conseillée. Acheter gros pulls d’hiver, bottes et manteau n’y serait pas très onéreux et, attendu que j’allais arriver à Budapest à la fin du mois de septembre, il était préférable de me prémunir. A plusieurs reprises, je sentis sur moi un regard très aigu, celui qu’un prédateur sexuel adresse à une proie potentielle. Aucun changement de boutique n’y fit rien. Je me sentais traquée et voulais me cacher mais en même temps, j’étais très excitée. J’avais beau chercher à m’échapper, je me sentais aussi esclave que je l’avais été avec Mattéo mais aussi avec ceux de la villa. Comme je sortais de la galerie pour chercher un endroit isolé où pourrait facilement me rejoindre un agresseur doublé d’un violeur, j’eus la présence d’esprit de composer sur mon portable le numéro de Lila. Je lui dis me sentir mal ! Elle me fit préciser où j’étais et me conseilla de rebrousser chemin. Elle me retrouverait dans une boutique dont elle me donna le nom. Dès que j’y eus mis le pied, je sentis que je désappointais mon traqueur. Lila ne me posa pas de questions et se contenta de me ramener dans ce quartier des Invalides qui, avant que je le connaisse, m’apparaissait comme très froid. En pénétrant dans le grand salon où j’avais passé tant de bonnes soirées avec les membres de l’Alcyon club, je me trouvais beaucoup mieux. Lia, cependant, me surprit :

-Agnès, il vous faut voir un médecin. Allez dans votre chambre le temps qu’il arrive !

-Mais pas du tout, Lila, je suis impressionnable, voilà tout !

-Je ne suis pas d’accord.

Je lui obéis et regagnai ma chambre d’où je contemplai de ma fenêtre une longue rue altière, parsemée d’immeubles début de siècle. Le médecin m’ausculta et me trouva fatiguée. Je restais à lire dans cette même chambre tandis que Lila allait m’acheter des vitamines et un sédatif et au soir, je les rejoignis pour dîner. Ils ne fermaient jamais les volets de leurs différents salons et je me plus à voir se découper derrière les vitres, formel et splendide, le dôme des Invalides.

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