Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE SOLEIL MEME LA NUIT. FRANCE ELLE.
18 avril 2024

Sœur des Anges. Partie 2. Agnès guidée vers la Hongrie.

Il ne fallait plus être futile. J’allais donc dans la première église venue, le premier cimetière venu, non pour demander hypocritement pardon pour moi –même mais pour penser à elle. Puis, je contactai l’association que Mère Agnès m’avait indiquée. Il s’agissait de l’Alcyon Club, entièrement consacré aux Hongrois à l’étranger. Elle seule pourrait, selon son opinion, m’aider à me repérer dans la masse de documents remis. Il y avait des livres en hongrois avec leur traduction sous forme de feuilles agrafées, des albums photo dont j’ignorais qui les avaient constitués, quelques DVD en hongrois ou en allemand et des cahiers d’écoliers soigneusement remplis par une plume fine et violette. Je notai également les coupures de journaux, dont certaines étaient récentes et quelques objets de culte parmi lesquels des chapelets. Il était clair que sans aucune aide, je risquai l’enlisement. J’appelai donc madame Lila Favart qui se montra enchantée.

-Mère Agnès m’a annoncé votre venue. Nous sommes aux 14 de la rue des Sablons, à Neuilly et bien sûr, nous vous attendons.

Je quittai Lille pour revenir à Paris et compris brusquement qu’après cette étape, j’irai en Hongrie.

Mince et brune, la jeune cinquantaine, Madame Favart était charmante. Elle était hongroise par sa mère et Artur, son mari l’était aussi. Il était cardiologue, ce qui la ravissait et l’effrayait :

-Vous savez, Agnès, il travaille sans arrêt. Ses patients le vénèrent. Moi, je suis un oiseau des îles ! Imaginez donc ! Je passe mon temps à m’occuper de cette association, organisant des concerts, des expositions et des dîners. Je promène des gens en Hongrie ou encore j’accueille ceux qui, comme vous ont une requête spéciale. C’est gentil, sympathique mais je n’opère pas à cœur ouvert alors que lui le fait. Vous savez, je m‘en veux d’être aussi légère, moi la Présidente de l’Alcyon club. En même temps, je me dis que je porte chance car un alcyon était un oiseau mythique dont la rencontre était tenue dans l’Antiquité pour un heureux présage. Et puis, vous savez, nos membres sont liés par l’amitié. Ils partagent leur ferveur pour le rapprochement franco-hongrois et la promotion de la vie culturelle hongroise. Nous nous réunissons fréquemment et il n’y a pas que des rires dans nos rencontres mais beaucoup d’émotions !

Elle était réellement sensible et sympathique et, comme me proposait de m’héberger, je me sentis soulagée. Retourner seule dans un hôtel à Paris aurait été problématique. Mattéo, bien sûr, m’aurait tenté et j’imaginais déjà à quel point il serait ironique mais il y avait aussi cet argent maléfique, ces mentors injoignables et ceux qui avaient hanté la villa provençale. Leurs doubles erraient dans la ville…

Son mari, Artur, était un homme rond et bienveillant. Il avait, à ce que je compris, une grande réputation et l’on se battait pour être opéré par lui sans qu’il se montrât le moins du monde orgueilleux. Au contraire, conscient de son excellence, il était d’une simplicité totale.

Le premier soir, ils parlèrent en hongrois devant moi avant que Lila ne se mette à rire et traduise. Ce n’était rien que des vœux de bienvenu. Le lendemain un homme âgé vint faire la lecture des documents que m’avait donné la vieille religieuse en m’en fit lentement la traduction. Pour le reste, à savoir ce qui était déjà traduit, il se dit prêt à me guider la lecture. Il s’appelait Gabor Milahy et devait avoir soixante-dix ans environ.

-C'est à vous de voir, madame.

-C'est tout vu ! Votre aide me sera précieuse. De la Hongrie, quelle que soit l'époque, je ne connais presque rien...

-Et de Sara ?

-Fort peu. Et puis, j'interprète ce que je lis à l'aune de ma culture française. Il me faut un autre éclairage.

-Soit, me dit-il avec bienveillance.

Et il commença à me présenter cette femme.

-Sara était une enfant active et sans peur. Jeune fille, elle a cherché sa voie. Elle avait le bagage nécessaire pour enseigner dans le primaire, ce qui faisait d’elle une jeune fille éduquée mais elle a voulu se frotter au monde du travail. Vous savez qu’elle a travaillé dans un atelier de reliure mais loin de lui apprendre correctement son travail, on l’a rabaissée, elle la fille de gens nantis et on lui a donné des tâches rebutantes. Quand elle a voulu apprendre à être modiste, on a agi de même avec elle : humiliations, travail à refaire, horaires invraisemblables. Elle s’est alors tournée vers le journalisme mais contrairement à beaucoup d’autres que la dure réalité ouvrière avait effrayés, elle n’a pas quitté le monde du travail pour rédiger des articles. Elle a fait les deux conjointement : faire du journalisme et rester à apprendre la reliure et la couture. Croyez-vous que c’était courant à l’époque ?

-Elle a eu vingt ans en 1909…Non, ce n’était pas courant. Expliquez-moi pourquoi elle a fait cela.

-Il existait des lycées de riches et des instituts où les élèves ne venaient pas de milieux favorisés. Sara a travaillé dans l’un de ses instituts. Elle était proche des jeunes filles à qui elle faisait aimer la littérature hongroise. Ce que ces jeunes filles lui renvoyaient c’est qu’elles aimaient étudier mais souffraient de leur pauvreté. Leurs parents avaient du mal à joindre les deux bouts, les maternités étaient nombreuses et la protection sociale de l’individu très précaire. Il existait bien des organisations caritatives mais elles avaient peu d’impact et les gentilles élèves de Sara voyaient leur avenir en noir. Qu’en seraient-ils de leurs rêves d’études et de savoirs dans un contexte aussi dissuasif ?

-Et qu’a-t-elle fait ?

-Elle s’est rapprochée des Sœurs du Service social. Cette congrégation existe toujours et se montre très active aux États-Unis, au Canada ainsi qu’à Taïwan, à Mexico et aux Philippines. A l’époque, cette même congrégation, qui avait déjà des bases solides dans de nombreux pays, venait de naître naquit en en Hongrie avec des objectifs simples, très franciscains en somme : être au plus proche des pauvres, du dénuement, de l'abattement ; porter la dignité. On était en 1923.

-C’était donc là qu’il fallait qu’elle aille…

-Sans doute mais rien n’était simple pour Sara. Elle était devenue rédactrice en chef du journal chrétien pour lequel elle travaillait mais au lieu de rester dans une ligne très stricte, proche de l’idéal monastique, elle menait une vie de femme…Elle était éprise d’un homme avec qui elle pensait à se marier et vivre à sa guise. Elle s’habillait comme elle voulait et fumait comme un pompier. Toutefois, elle a fini par les convaincre…

-Les Sœurs ?

-Oui. Elle a prononcé ses vœux en 1930.

-Le fiancé ?

-Évacué…Façon de parler, bien sûr. Elle ne pouvait plus s'engager dans le mariage.

-J’ai lu qu’elle n’était pas vraiment sûre de sa foi quand elle était jeune journaliste mais qu’au fil des ans, elle l’a retrouvée. Quand elle a prononcé ses vœux, elle était changée !

-Certainement mais on l’a admise au couvent avec réticence. Elle avait vécu librement et n’était pas conforme à l’idée qu’on se faisait d’une religieuse. Il a fallu trouver quelque chose, alors, on lui a reproché de trop fumer ! Elle s’est amendée, se sevrant de beaucoup de plaisirs qu’on jugeait néfastes pour elle.

-Et ses vœux définitifs ?

-Elle les a faits en 1940.

-Dix ans après…Elle avait traversé la première guerre et se trouvait dans la tourmente de la seconde…

-Oui, mais tant d’autres ont fait comme elle sans avoir d’autres choix ! Bien sûr, elle a voulu partir, aller dans des contrées exotiques, le Brésil, la Chine …Mais on ne l’a pas jugée apte à un tel engagement. Après ses premiers vœux, c’est à Kassa puis à Komaron qu’on l’a affectée afin d’y organiser l’activité caritative. Elle, elle avait choisi ces paroles d’Isaïe : Me voici, envoie-moi. Vous trouverez cela au chapitre 6, verset 6 à 8. On l’a envoyée là où elle ne s’y attendait pas et elle a obéi.

Publicité
Publicité
Commentaires
LE SOLEIL MEME LA NUIT. FRANCE ELLE.
Publicité
Archives
Publicité